vendredi 27 juillet 2012

La dette et l'homme intègre


Il y a bien longtemps, dans un pays fort fort lointain, un homme, un chef d'État, fit un jour un discours. Le texte est long, si vous êtes pressé, la vidéo (17 min.) est au bas.

Cela se passait il y a vingt-cinq ans, une génération. Beaucoup ont oublié, d'autres n'ont jamais su. A leur intention, voici qui était cet homme.

Il est né en 1949 dans le pays des Mossi qui comptait plusieurs royaumes appelés Boussouma, Dagomba, Gourma, Mamprousi, Ouagadougou et Yatenga. Les Français qui s'y étaient installés (1), trouvant cela bien compliqué, l'avaient renommé Haute-Volta. Cet homme donc, issu de la petite classe moyenne, a fait des études, est entré à l'armée, puis en politique. Arrivé au pouvoir en 1983 suite à un coup d'État, à nouveau il change le nom de cette terre en Burkina Faso, Pays des Hommes intègres.

Son programme était clair, il l'a présenté à l'ONU en 1984, et il l'a mis en œuvre.
:
  • Abolir les privilèges des chefs tribaux qui se comportaient comme des seigneurs féodaux, et redistribuer la propriété des terres aux paysans. (2)
  • Lutter pour l'émancipation féminine en promouvant l'éducation des filles, la contraception, l'accès des femmes à des postes de responsabilité, en interdisant l'excision, les mariages forcés et la polygamie.
  • Réduire drastiquement le train de vie du Gouvernement, entre autre en remplaçant les Mercédès de fonction par des Renault 5, en diminuant le salaire des ministres et des hauts fonctionnaires, à commencer par le sien.
  • Développer l'économie du pays,
    • Par l'autosuffisance alimentaire, obtenue suite à la réforme agraire (divisions des terres féodales en lopins distribués aux paysans). (3) Condition même de l'indépendance du pays et de la santé de ses habitants.
    • Par la plantation de milliers d'arbres pour lutter contre la désertification.
    • Par la constructions de routes et de voies de chemin de fer.
    • Par le refus d'endetter davantage le pays par des emprunts étrangers, repoussant particulièrement l'aide(4) du FMI.
    • Par la demande de réduction de la «dette odieuse» contractée par ses prédécesseurs.
    • Par le développement de l'artisanat et des petites industries locales, en refusant d'importer toute marchandise ou tout bien qui pouvait être produit localement.
Bien sûr il se fit des ennemis. Les chef tribaux dépouillés de leurs droits, et les intérêts financiers de la France et de sa post-colonie la Côte d'ivoire. Ceux-là, très mécontents, l'accusèrent de tyrannie, de corruption et d'imposture. On peut les comprendre, ils perdaient du pouvoir, de l'influence et de l'argent, tandis que la population gagnait de la nourriture, de l'éducation, de la santé et des droits qu'elle ne méritait pas.

On lui a reproché de surtaxer la bourgeoisie urbaine pour financer ses projets de développements ruraux.(5) On lui a reproché d'être marxiste-léniniste. Très franchement, au vu de son programme et de ses réalisations, il aurait pu être ce qu'il veut, je m'en soucie comme d'une guigne.

Son discours sur la dette fut prononcée à Addis-Abeba le 29 juillet 1987. Le 15 octobre 1987, moins de trois mois plus tard, il meurt assassiné lors d'un coup d'État fomenté par l'homme qui est toujours aujourd'hui au pouvoir dans le pays, Président depuis 25 ans, et qui s'est empressé de détruire toutes les réformes de son prédécesseur, et de rejoindre le FMI.

Aujourd'hui au Burkina Faso, 80% de la population vit avec moins de 2$ par jour. Le président actuel et sa famille vont très bien, merci.

Mais tout ce qui précède est relativement anecdotique, perdu dans le bruit et la fureur de l'Histoire humaine.

Non, ce qui est véritablement stupéfiant, c'est l'actualité de ses deux discours de 1984 à l'ONU et de 1987 contre la dette. L'histoire se répète? ou bien bégaie-t-elle? Ni l'un ni l'autre. En l'occurrence, elle fait du sur-place.

On trouve ici et là des gens pour demander qu'on leur cite un Einstein africain. On pourrait leur expliquer pourquoi l'Afrique peine à développer la recherche scientifique chez elle pour cause de sous-financement chronique. Mais ils ne comprendraient pas. On pourrait leur citer Edward AlexanderBouchet. Ou les envoyer sur ce blog, ou leur montrer cette vidéo. Mais rien ne convainc certaines gens.

Je préfère leur demander en retour de me citer un Thomas Sankara européen aujourd'hui. Bonne recherche.


(1) Il y a une énorme différence entre invasion et conquête. Ne pas confondre, car les deux n'ont rien à voir. L'invasion, c'est quand l'ennemi entre chez vous. C'est mal, il apporte guerre, misère, oppression et tyrannie. La conquête, c'est quand vous entrez chez l'ennemi. C'est bien, vous apportez civilisation, religion, démocratie et progrès. Mais comme je ne veux d'ennuis ni avec les Français, ni avec les Burkinabés, je choisis une périphrase.

(2) C'est très mal. Chacun sait que la propriété privée est un droit absolu et sacré . Comme par exemple ici, et ici ou ou encore ici.
 
(3) Suite à cette mesure la production de céréales est passée de 1700Kg/Ha à 3800Kg/Ha en trois ans. Mais pour un économiste et un géant de l'agro-alimentaire ce n'est pas un critère pertinent. Je n'oserais les contredire, n'étant pas économiste.

(4) Ce mot d'« aide » qui prend tout son sel lorsqu'on pense à la Grèce, est particulièrement délicat et prouve l'humour si subtil et si heureux du FMI.

(5) La différence entre une taxe légitime et nécessaire et une taxation abusive et disproportionnée est très simple. Lorsqu'un chef d'État africain connoté à gauche taxe une partie relativement aisée de la population pour aider au développement d'une paysannerie extrêmement pauvre, c'est de la tyrannie. Lorsque les Hautes Autorités européennes taxent, l'une après l'autre, les populations modestes de chaque pays d'Europe pour réduire le déficit creusé par l'aide accordée aux banques et les abattements d'impôts accordés aux plus riches, et reversent ensuite le produit de ces taxes aux banquiers et aux grands financiers, c'est une mesure responsable, courageuse et efficace.

6 commentaires:

  1. Le jeudi 2 aout 2012, dans la zone euro, l’information la plus importante de l’année 2012 a été cachée par les télévisions, par les radios, et par presque tous les grands titres de la presse papier :

    En zone euro, il y a eu le réarmement d’une banque centrale nationale, en violation de tous les traités européens.

    Qu’est-ce que le réarmement d’une banque centrale nationale ?

    C’est quand une banque centrale nationale prête de l’argent à un Trésor public national.

    TOUS LES TRAITES EUROPEENS INTERDISENT QU’UNE BANQUE CENTRALE NATIONALE PRETE DE L’ARGENT A UN TRESOR PUBLIC NATIONAL :

    « Conformément à l'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, il est interdit à la BCE et aux banques centrales nationales d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »

    OR LA BANQUE CENTRALE DE LA GRECE VIENT DE PRETER 6 MILLIARDS D'EUROS AU TRESOR PUBLIC GREC :

    http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2012/08/02/20002-20120802ARTFIG00564-le-plan-grec-pour-echapper-au-defaut-de-paiement-cet-ete.php

    Le réarmement de la banque centrale de la Grèce est une information historique.

    Le réarmement de la banque centrale de la Grèce montre ce qui nous attend dans les années qui viennent, en Grèce et dans d’autres pays européens :
    - L’éclatement de la zone euro.
    - Le retour aux monnaies nationales.
    - Le réarmement des banques centrales nationales.
    - En Grèce et dans d’autres pays européens, une banque centrale nationale prêtera de l’argent à un Trésor public national.

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  2. Bonjour BA,

    Merci de répandre cette info qu'apparemment peu de monde a capté.

    Ainsi non seulement le traité européen n'a aucune légitimité démocratique, non seulement il est en lui même, dans sa conception et dans son processus d'adoption, un véritable coup d’État financier sur les gouvernements élus des États d'Europe, mais en plus ces escrocs en col blanc ne sont même pas foutus de respecter eux-même leurs propres lois.

    Cas d'urgence, de force majeure, chougneront-ils en chœur.

    Après la Grèce, je me demande à combien d'infractions au traité pour cause de force majeure nous allons encore assister. Espagne? Italie? Irlande? ...

    Quant à prétendre que ce traité était caduc et vicié à la base, aucun d'eux ne l'avouera jamais.

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  3. "- Les puissants qui veulent changer le monde, ils meurent, assassinés. Et les moins puissants… les moins puissants sont impuissants, voilà tout."

    C'est ce que ma dit un gamin délinquant et idéaliste, il y a quelques années.
    Et je crois qu'il n'avait pas tort.
    Hélas...
    Même au pays des hommes intègres.

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  4. Et pendant ce temps Fabius fait l'offusqué avec la Syrie, quel cinéma ! Hélas les spectateurs sont les personnes qui subissent, mais n'est ce pas comme ça depuis longtemps, le pognon c'est le pouvoir

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  5. Pour les peuples qui la subissent, toute dictature est odieuse. Pour nos gouvernements, il n'y a que des intérêts privés, donc soit des dictatures utiles à ceux-ci qu'on soutient, soit des régimes - démocratiques ou non - gênants pour ceux-ci, qu'il faut soumettre ou bien abattre. Par la force s'ils sont faibles, par la propagande et la ruse s'ils sont forts.

    Le reste est affaire de rhétorique.

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