mercredi 15 août 2012

La Princesse aux paons (2ème partie)


It is the perfume and the lovely
Fragrance of roses that sweeten
The leaf buds of the flowering plants
The peacocks
And the yellow feathered birds
Are the adornments of my home
(Princesse Myriam Likelike)(1)

 
La jeune fille avait tout perdu. Son pays n'existait plus, elle n'était plus rien. Depuis sa naissance elle se préparait à son rôle, elle apprenait à être reine, son avenir était tracé. Ce destin imposé, elle l'avait non seulement accepté, mais embrassé avec enthousiasme et détermination. "I want to do all I can for my people, and be an honest, true leader to them. I simply want to do my duty to beloved Hawaii."(2) Du jour au lendemain, elle n'avait plus ni but ni raison d'exister. Tout ce qu'elle avait fait jusqu'ici, toutes ses études, tout son travail, tous ses rêves étaient réduits à rien.(3)

Elle avait dix-sept ans, elle réagit en reine. Elle fit publier d'abord un communiqué dans la presse britannique.(4) Elle s'embarqua ensuite immédiatement pour les États-Unis afin de plaider sa cause et celle de ses îles bien-aimées, auprès du Congrès et du Président. Elle fit plusieurs apparitions publiques, assistant à diverses cérémonies, donnant des conférences, parlant aux journalistes.

Aux États-Unis, la machine de propagande avait commencé son œuvre, dépeignant les hawaïens comme des barbares primitifs, leur Reine et la Princesse odieusement défigurées par les caricatures, la mise sous tutelle par les planteurs étrangers présentée comme une « révolution » locale qui mettait à bas la tyrannie d'une reine cannibale pour établir sur l'île une démocratie éclairée à l'occidentale!(5)


Les américains s'attendaient à contempler une sauvage à moitié nue, un os dans le nez, couverte de plumes et de tatouages. Ils virent débarquer une jeune fille ravissante, élégante, cultivée, intelligente, raffinée, parlant parfaitement leur langue et plusieurs autres. Sa simple apparition, ses déclarations habiles et bien pensées(6), ainsi bien entendu que sa jeunesse et sa beauté, tournèrent aussitôt l'opinion en sa faveur et surtout modifièrent totalement et définitivement le regard du public américain sur les hawaïens, réduisant à néant tout l'effort ignoble de diffamation répandu par le parti pro-annexion. Et cela seul était déjà plus qu'une victoire : un triomphe.

Le Président Grover Cleveland accepta une rencontre informelle. Séduit et convaincu, il fit geler l'annexion et ordonna une enquête. Bien que celle-ci conclut en faveur du rétablissement de la Reine, le Congrès refusa de suivre. Puis McKinley le républicain succéda à Cleveland le démocrate et tout espoir disparut. Les intérêts financiers d'une poignée d'hommes d'affaires prévalurent sur la volonté et la liberté d'un peuple. La Princesse était retournée d'abord en Angleterre pour achever ses études, puis enfin chez elle, en Hawaï où elle tenta de continuer la lutte, idole et dernier espoir pour son peuple, menant le parti de l'indépendance. En vain. L'archipel fut définitivement annexé en 1898. Face à l'inutilité de son combat, à l'échec de ses efforts, la santé de la Princesse se détériorait rapidement. Elle ne digérait plus rien, les migraines devenaient chroniques. Elle avait encore connu plusieurs deuils : ses deux amis d'enfance, l'écrivain Robert Louis Stevenson et sa demi-soeur préférée Annie Pauai Cleghorn, ainsi que son tuteur en Angleterre, son « second père » Theophilus Harris Davies.

Quelques mois passèrent encore. Au début de janvier 1899, à l'occasion d'une fête de mariage, elle accompagna quelques amis pour une longue chevauchée à Waiméa. Surprise par une tempête tropicale, elle rentra trempée et frissonnante. Elle mourut le 6 mars suivant, d'un « rhumatisme inflammatoire » d'après le New York Times de l'époque. Son père écossais Archibald Scott Cleghorn lui fit cette oraison, que puisque Hawaï avait disparu, il valait mieux pour Ka'iulani de s'en aller aussi.

Ses parents l'avaient nommée Victoria – en l'honneur de la reine au pays de son père – Ka'iulani – "le point le plus haut du ciel". De toutes les fleurs et de tous les parfums, elle préférait le jasmin. Par dessus tout et depuis son enfance, elle aimait les paons. Elle s'était occupée de ceux de sa mère qui la suivaient partout, elle en avait plusieurs dans son jardin d'Ainahau. La légende raconte qu'au matin du 6 mars, à 2 heures, ils se mirent tous à criailler, pleurant en leur langage celle qu'ils avaient aimé, et que tout Hawaï entendit ces pleurs.


16 octobre 1875 – 6 mars 1899. Entre ces deux dates, la courte vie de la Princesse royale Victoria Kawekiu Lunalilo Kalaninuiahilapalapala Ka'iulani Cleghorn.

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(1) La Princesse Myriam Likelike, musicienne et poétesse, était la sœur de la Reine Lili'uokalani, l'épouse d'Archibald Cleghorn, la mère de Ka'iulani)

(2) « Je veux faire tout ce que je peux pour mon peuple, et être pour lui un guide honnête et droit. Je veux simplement faire mon devoir envers mon bien-aimé Hawaï ».
(3) « J'ai cru que mon cœur allait se briser lorsque j'entendis que la monarchie était renversée, et j'ai ressenti toutes les désillusions d'une jeune fille, et je crois aussi toutes celles d'une reine. J'avais voulu devenir une bonne reine un jour. J'y avais réfléchi et fait toutes les sortes de vœux et de plans que vous pouvez imaginer, je rêvais de tout ce que je ferais pour mon peuple. J'étais sure que je pourrais en faire le peuple le plus heureux du monde, ... »
(4) The Daily Bulletin, Honolulu, 2 mars1893 :
« Il y a quatre ans, à la requête de Mr Thurston, alors Ministre du Cabinet hawaïen, j'ai été envoyée en Angleterre pour y recevoir une éducation privée et adaptée à la position dont, en accord avec la constitution d'Hawaï, je devais hériter. Durant toutes ces années d'exil, je me suis patiemment efforcée de me préparer à mon retour cette année dans mon pays natal.
On me dit à présent que Mr Thurston sera à Washington pour vous demander de m'enlever mon drapeau et mon trône. Personne ne m'a parlé de cela de façon officielle. Ai-je fait quoique ce soit de mal, pour que ce tort nous soit infligé à moi et à mon peuple? Je viens à Washington plaider pour mon trône, ma nation et mon drapeau. La grande nation américaine ne m'entendra-t-elle pas?
(5) Rappelez vous bien cela, chaque fois que la presse vous présentera un peuple comme ignorant et arriéré, ses dirigeants comme barbares et corrompus, chaque fois que vos chefs d’État tenteront de vous persuader que le renversement par la force des armes d'un gouvernement étranger est un acte noble et démocratique.
(6) Déclaration de Ka'iulani à la presse. Sacremento Record-Union, (Mar. 2, 1893). U. S. Library of Congress Archive. :
« Il y a septante ans l'Amérique chrétienne envoya des hommes et des femmes apporter la religion et la civilisation à Hawaï. Ils nous ont donné l'évangile, ont fait de nous une nation et nous avons appris à aimer l'Amérique et à lui faire confiance. Aujourd'hui, trois des fils de ces missionnaires sont en votre capitale, à vous demander de défaire l'œuvre de leurs pères. Qui les a envoyés? Qui leur a donné autorité pour briser la constitution qu'ils avaient juré de respecter?
Aujourd'hui, moi, pauvre et faible jeune fille, sans aucun des miens auprès de moi, et tous ces politiciens hawaïens contre moi, j'ai la force de me dresser pour les droits de mon peuple. En ce moment même je peux entendre leurs plaintes dans mon cœur et cela me donne force et courage, et je suis forte, forte de la foi en Dieu, forte de savoir que je suis dans mon droit, forte de la force de 70,000,000 de gens qui, dans ce pays libre, entendront mon cri et refuseront de laisser leur drapeau couvrir le mien de déshonneur. »




1 commentaire:

  1. C'est exactement ça... Magnifique travail... Du fond du coeur et qui que vous soyez, merci infiniment... J'ai prénommée ma petite-fille Kaiulani en souvenir de cette souveraine que mon coeur chéris à jamais... Bonne continuation !!! ELLACOTT Tearere

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